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Le dôme de Genbaku

Au bord de la promenade plantée de cerisiers en fleurs (dont l’ombre aura, tout le week-end, accueilli les nappes de pique-niqueurs), sur la rive nord de l’Ota gawa, le dôme démoli de l’ancien palais d’exposition industrielle – conservé en l’état – s’élève de manière incongrue, déplacée, au milieu d’une telle ville, parsemée de gratte-ciels et traversée de riches rues commerçantes. Il est vrai qu’après le traumatisme initial, le souvenir de la bombe atomique – connecté au mémorial, aux hôtels et aux auberges de jeunesses qui en logent les visiteurs, aux restaurants qui les nourrissent, à la gare qui les amène et les renvoie, etc. – s’est peu à peu tissé au reste des activités dans un réseau économique et social au sein duquel il n’occupe plus qu’un nœud, parmi d’autres. La vie a repris son cours, Hiroshima ressemble à d’autres villes – qui eût préféré l’inverse ?

Cette normalité saute aux yeux – c’est elle qui rendrait presque obscène ce monument, ravalé au rang d’attraction touristique, de bien mauvais goût (le touriste est comme l’amoureux, pris dans les contradictions du désir : voulant à la fois penser que l’objet de sa visite trouve en lui la justification de son existence – ce qui l’autoriserait à l’arpenter à son gré, à tout photographier, à rire dans son short à chaussettes montantes – et en même temps dégoûté par l’idée que ce puisse être effectivement le cas, tirant de l’idée même qu’il soit – que le tourisme soit – effectivement la seule raison d’être de cet objet une sorte de mépris). Et c’est vrai que les gaijin que l’on croise dans les alentours, protégés par le canon de leur appareil-photo, sont les mêmes qu’à Kyôto ou que partout ailleurs. Hiroshima n’est-elle qu’une étape, obligée, pour des vacances au Japon ? « Itinéraires ‘Les grands classiques’ : cap vers le sud », page 29 du Lonely Planet.

N’empêche, en sortant du mémorial, en passant à nouveau sous le dôme de Genbaku, grisâtre, au squelette apparent, on comprend soudain que ce n’est pas pour les voyageurs qui courent vers leur train (mais malgré eux et leur itinéraire – et malgré les voitures qui filent et les huîtres qu’on tasse dans les estomacs) mais pour les victimes qu’il est conservé en l’état. Peu importe les affects qui nous traversent nous : la honte,  la crainte ou la colère – tous les bons sentiments. Que nous l’oublions demain peu importe. Il ne regarde pas du côté de la vie : il est leur fidélité à eux – aux morts – silencieuse. Dans la ville riche et bruyante il rejoue la montre cassée – 6 août 1945 (à 8h15 du matin).