Sans savoir que c’était le plus vieux temple zen de Kyoto, celui où est enterré maître Dôgen, nous nous rendîmes au Kennin-ji, situé au coeur du quartier de Gion. Avant de rejoindre la dépendance abritant les gigantesques dragons jumeaux, peints au plafond, nous empruntâmes un squelette de passerelles sur pilotis circulant entre plusieurs jardins secs ; ce fut l’occasion de s’arrêter, le temps de griffonner quelques lignes, observer ces parterres ratissés de gravillons au milieu desquels comme des îlots un arbre, un morceau de pelouse, ou quelques roches couvertes de mousses sont posés – pourquoi ? Sont-ils censés faire signe vers je-ne-sais-quel mystère, comme des compositions cabalistiques ? De quel système de symboles doit-on s’armer pour en comprendre la géométrie ? Aucun, sans doute : le zen n’est pas ésotérique. Ces jardins ne disent rien que ce qu’ils montrent : ils sont ce qu’ils sont – mais quoi alors, qui puisse justifier qu’un moine puisse s’y consacrer comme à la chose la plus importante ? Rien ne le justifie : c’est une composition d’éléments naturels, voilà tout. Mais si travaillée, si dénuée d’objets manufacturés, qu’elle ne présente de la nature qu’une idée elle-même hautement artificielle ! ces vagues dans les graviers, cette mousse soigneusement entretenue – on les confondrait à moins avec un décor en carton-pâte, qui ferait le même effet. Et si l’art du jardin n’est la projection d’aucune métaphysique, si l’on ne peut pas vraiment dire qu’il relève d’une éthique et non plus qu’il est réductible à une esthétique, alors quoi ?
Tais-toi, regarde.